Un organisme multi-parties prenantes veut encadrer le marché de la compensation carbone. Les principaux acteurs privés ne sont pas enthousiastes

Le marché des crédits de la compensation carbone est en plein essor. Il est passé de quelque 300 millions de dollars en 2020 à 1 milliard en 2021, et les analystes s’attendent à ce qu’il atteigne 35 milliards de dollars d’ici 2030. Cette spectaculaire croissance résulte de nombreux facteurs et, notamment, du renforcement des législations et des promesses formulées par de plus en plus d’opérateurs publics ou privés d’arriver à la neutralité carbone dans les prochaines décennies. Souvent, ces acteurs estiment ne pas être capables de tenir ces engagements sans faire appel à la compensation carbone. Une approche que les ONG et certains spécialistes contestent toutefois. Ils expliquent que la priorité doit être donnée en premier lieu à la réduction des gaz à effet de serre ; la compensation, elle, ne doit s’appliquer que sur les émissions résiduelles.

Mais ce nouveau marché s’est développé sans un cadre robuste qui en formalise les règles de manière indiscutable. En l’état actuel des choses, il est truffé de projets redondants, contre-productifs ou qui portent préjudice aux populations autochtones.

L’Integrity Council for the Voluntary Carbon Market (ICVCM) a été créé en septembre 2021. Il s’agit d’une coalition dont sont membres des experts spécialisés dans les technologies liées au marché du carbone, le climat et la finance durable, mais aussi quelques grandes associations écologistes orientées vers la conservation de la nature telles que le WWF ou l’Environmental Defense Fund. L’organisation s’est fixé comme mission de discipliner le marché privé de la compensation carbone. En juillet 2022, l’ICVCM a proposé à la consultation un projet réunissant un ensemble de dix principes fondamentaux pour garantir des projets de « haute qualité ». Ces principes certifieraient, en particulier, que les projets de compensation des émissions de carbone génèrent de réelles réductions d’émissions, se maintiennent sur le long terme et prennent en compte les communautés locales.

Deux acteurs privés majeurs de la certification ont répondu à la consultation qui prenait fin le 27 septembre 2022. Créée en 2007, l’organisation étatsunienne Verra a émis 83 % des crédits carbone enregistrés en 2021, selon le cabinet Climate Focus. Verra estime que l’ICVCM place la barre trop haut et devrait se concentrer sur la vérification des processus d’audit des programmes existants au lieu de définir des normes mondiales. L’organisme précise que, sur ces bases, peu de crédits, voire aucun, devraient passer le test avec succès. Pour Verra, cela « satisfera les puristes, mais ne permettra pas de stimuler les investissements dans le monde à une échelle suffisante pour lutter contre la crise climatique ». L’organisation a ajouté que son soutien à l’ICVCM avait été ébranlé par cette proposition, et que le projet nécessitait d’être profondément remanié.

Le Suisse Gold Standard (12 % du marché mondial l’année dernière), qui comprend un représentant du WWF au sein de son conseil d’administration, a réagi de manière plus nuancée. L’organisation se félicite de la démarche de l’ICVCM, mais estime aussi que, telles qu’elles sont rédigées, les règles risquent d’être un obstacle qui entrave la croissance du marché de la compensation carbone. Elle pense que les problèmes peuvent être résolus en atténuant ou en supprimant certaines exigences. Gold Standard considère également que l’ICVCM devrait avoir une position plus claire sur le double comptage des crédits carbone, où le vendeur et l’acheteur réclament des réductions d’émissions pour un même projet, bien qu’il n’y ait pas de possibilité de réguler cette question.