Aux États-Unis, l’engagement actionnarial ne faiblit pas dans les assemblées générales. En France, la tendance est ferme, mais se limite à quelques sujets

D’après les observateurs, l’année 2022 a constitué pour les États-Unis la saison la plus dense de tous les temps en matière de « batailles de mandat » en assemblée générale (proxy fights). Les actionnaires ont soumis un nombre record de projets de résolution à l’ordre du jour des AG des sociétés étasuniennes. Ils ont notamment bénéficié des nouvelles directives de la Securities and Exchange Commission (SEC) qui ont rendu plus difficile pour les entreprises la possibilité de rejeter les propositions de résolutions externes.

Mais on observe une autre tendance, plus inattendue au premier abord. Les actionnaires « conservateurs » seraient, en effet, deux fois plus nombreux qu’en 2021 à avoir déposé des projets de résolution. Le cabinet de conseil aux investisseurs Georgeson LLC a relevé 52 résolutions de ce type au cours des six premiers mois de 2022. Il s’agit, par exemple, de résolutions qui nient l’évidence climatique ou qui cherchent à souligner les conséquences négatives pour l’entreprise des politiques ESG. Elles prospèrent grâce à l’offensive anti-ESG actuellement menée par une partie des personnalités politiques républicaines outre-Atlantique.

Quoi qu’il en soit, les projets de résolution « pro-ESG » sont en nette augmentation et retiennent de plus en plus l’attention des investisseurs. Georgeson LLC a comptabilisé pour l’instant 924 propositions ESG soumises aux entreprises. Après négociation entre les conseils d’administration des entreprises et les actionnaires, le cabinet estime que 621 résolutions auront été présentées au suffrage des actionnaires (contre près de 400 en 2021).

Le nombre de projets ayant trait à des questions environnementales a progressé de 39 % cette année. Cependant, peu d’entre elles ont obtenu la majorité des voix. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce qui peut sembler être un échec. L’une d’elles est que la plupart des entreprises à qui il était réclamé de publier un rapport disposent désormais d’un tel document ; une autre est que les exigences ont monté d’un cran. Les actionnaires ont, par exemple, demandé à ce que les compagnies divulguent leurs émissions de GES du scope 3, qu’elles démontrent que leurs opérations de lobbying sont en phase avec les objectifs de l’accord de Paris, et que les sociétés financières cessent de soutenir les combustibles fossiles.

Le contexte et l’actualité ont également donné un coup d’accélérateur aux initiatives dans le domaine social (au sens large). Les actionnaires ont réclamé des audits sur l’équité raciale au sein des effectifs des entreprises ou sur les droits civils, ainsi que davantage d’informations sur leurs plans et politiques en matière de diversité, d’équité et d’inclusion. Ils ont aussi demandé à ce que les sociétés remédient aux écarts de rémunération entre les sexes ou les « races », ou qu’elles évaluent si leurs politiques pour lutter contre le harcèlement sexuel sont efficaces.

Les dépôts de résolution sur la gouvernance continuent à retenir l’attention. Cette année, elles se sont concentrées sur la dissociation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général, ou sur les écarts entre la rémunération des mandataires sociaux et celle du personnel. Cela constitue un changement par rapport aux précédentes années où les propositions sur la diversité des conseils d’administration dominaient, mais où des progrès ont été enregistrés. Le cabinet de recrutement Spencer Stuart indique donc qu’en 2021, 47 % des nouveaux administrateurs nommés dans les entreprises du S&P 500 étaient des personnes de couleur, et que 43 % d’entre eux étaient des femmes.

En France, la situation est différente, puisque la législation rend difficile le dépôt de projets de résolutions externes (nécessité de réunir une part substantielle du capital ; faculté pour les sociétés de rejeter les dépôts de projet sans recours possible). En tout cas, la loi offre aux actionnaires la possibilité de poser des questions par écrit (articles L. 225-108 et R. 225-84 du Code de commerce). À ce jour, sur les 38 sociétés du CAC 40 qui ont déjà tenu leur assemblée annuelle, on compte 311 questions écrites émanant de 52 actionnaires différents. Il faut également y ajouter 10 questions adressées par le Forum pour l’investissement responsable (FIR) aux entreprises du CAC 40. L’ensemble des réponses apportées par ces dernières représente à l’heure actuelle 540 pages.

Les questions qui se rapportent à l’une des trois dimensions E, S ou G représentent plus des deux tiers de celles qui ont été posées à l’écrit. Mais elles concernent surtout quelques thèmes. L’environnement constitue l’essentiel du contingent, avec 42 % des questions ESG. Près de 80 % de ces questionnements ont porté sur les thèmes du climat, des gaz à effet de serre et du soutien aux énergies fossiles, et 82 % d’entre eux ont ciblé 6 sociétés en particulier (Air Liquide, AXA, BNP Paribas, Crédit Agricole, Engie et Société Générale). La gouvernance au sens large représente presque 14 % des questions posées. Avec 10 interpellations écrites sur ce sujet, LVMH a retenu l’attention. Les préoccupations sociales sont quant à elles en retrait (29 questions seulement) ; Teleperformance est le groupe qui a recueilli le plus grand nombre de questions sur ce thème (10). Notons que ce qui touche aux relations avec les partenaires sociaux et au climat social est encore loin des préoccupations des actionnaires des firmes françaises.