Visite de juges allemands dans les Andes péruviennes pour examiner si RWE est responsable de l’augmentation des GES pouvant déclencher la rupture d’un lac glaciaire

La fonte accélérée des glaciers est une grave conséquence du changement climatique. Cette situation menace l’accès à l’eau de millions de personnes dans le monde, mais les expose aussi à des inondations ainsi qu’à des coulées de boue et de roches dramatiques. Ces phénomènes sont appelés Glof (glacial lake outburst flood) – lorsqu’ils résultent de la rupture d’un barrage naturel qui retient les eaux d’un lac proglaciaire – ou jökulhlaup – lorsqu’ils font suite au brusque débordement d’un réservoir naturel. Le lac Palcacocha, qui se trouve à plus de 4 500 mètres d’altitude dans les Andes péruviennes, présente de tels risques. Son volume aurait été multiplié par 34 en un demi-siècle.

En 1941, une partie du glacier Palcaraju, qui surplombe le lac, s’est détachée lors d’un tremblement de terre et est tombée dans le lac. Ce séisme a provoqué une coulée de boue et de roches sur la ville de Huaraz, détruisant un tiers de la cité et causant la mort de plus de 1 800 personnes. Une étude publiée le 4 février 2021 dans la revue Nature Geoscience a affirmé que le recul glaciaire à cette époque « représentait un impact précoce des émissions de gaz à effet de serre anthropiques ». La poursuite du changement climatique a rendu le glacier plus instable et augmente la probabilité d’un nouveau glissement de terrain.

Le 24 novembre 2015, Saúl Luciano Lliuya, un agriculteur local et guide de montagne, a intenté une action en justice devant le tribunal de première instance d’Essen (Allemagne) contre l’énergéticien allemand RWE. Il a été débouté le 15 décembre 2016. Mais, le 13 novembre 2017, la Haute Cour de justice de Hamm a décidé de retenir sa plainte. Son recours vise à tenir RWE en partie responsable de la fonte des glaciers andins et de l’augmentation des risques de débordement du lac sur sa ville. Fin mai 2022, des juges et des experts nommés par le tribunal allemand se sont rendus sur place pour examiner la situation. Pour Roda Verheyen, l’avocate du plaignant et fondatrice du cabinet Green Legal Impact, cette visite indique qu’une audience pourrait avoir lieu dès cette année et qu’un verdict pourrait être prononcé d’ici deux ans.

Roda Verheyen affirme qu’il s’agit de la première affaire climatique dans laquelle un tribunal s’est déplacé dans un autre pays pour recueillir des preuves à propos de dommages présumés. C’est également le seul cas, à ce jour, à exiger d’un acteur privé qu’il finance les coûts d’adaptation. S’appuyant sur la Carbon Majors Database, Luciano Lliuya soutient que l’entreprise a contribué à 0,47 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’origine humaine depuis la révolution industrielle, et qu’elle devrait donc payer une part équivalente des dépenses nécessaires à la protection de la région contre les inondations estimées à 3,5 millions de dollars. Cet exemple pourrait s’étendre à d’autres sociétés qui ont fortement participé aux émissions de GES.

Pour RWE, le climat est une question extrêmement complexe, et il est juridiquement impossible de lier les conséquences ponctuelles du changement climatique à une seule source. L’établissement de ce lien est, en effet, l’un des principaux enjeux de l’affaire en cours. Palcacocha fait partie d’un nombre de plus en plus important de lacs andins menacés par une rupture provoquée par des blocs de glace et de roches se détachant des glaciers. Il existe des plaignants potentiels comme Saúl Luciano Lliuya dans pratiquement tous les pays de la planète.