Aux États-Unis, les entreprises affichant des valeurs de durabilité suscitent l’enthousiasme ; il faut désormais démontrer au régulateur la réalité des propos

La société californienne Allbirds a été officiellement créée le 6 mai 2015 par Tim Brown, un ancien joueur de football international néo-zélandais, et Joey Zwillinger, un jeune industriel intéressé par les matériaux durables. L’année suivante, l’entreprise a lancé le sneaker Wool Runner, une chaussure sportive élaborée avec un tissu en laine révolutionnaire spécialement conçu pour les chaussures. Aujourd’hui, la chaussure « fabriquée à partir de la nature » est devenue la marque de fabrique d’Allbirds. La société a ensuite exploré comment elle pouvait utiliser dans ses chaussures d’autres matériaux biodégradables tels que la pulpe d’eucalyptus, la canne à sucre, le plastique recyclé, les carapaces de crabes, etc. Son ascension a été spectaculaire. Au cours des six premiers mois de 2021, Allbirds a réalisé un chiffre d’affaires de 118 millions de dollars, soit 27 % de plus que sur la même période de 2020.

Le siège social d’Allbirds est situé à San Francisco, mais l’entreprise est enregistrée dans l’État du Delaware où elle a adopté le statut de Public Benefit Corporation (PBC). Les sociétés constituées en PBC doivent inclure dans leurs statuts au moins un apport positif ou une réduction d’effets négatifs pour une certaine catégorie de personnes, d’entités ou de communautés. Cela permet au conseil d’administration de prendre en considération les intérêts des parties prenantes dans ses décisions. Toutefois, seuls les actionnaires peuvent intenter un recours judiciaire mettant en cause les choix faits par la direction.

Le 3 novembre 2021, Allbirds a procédé à son introduction en Bourse sur le Nasdaq en proposant au marché plus de 20 millions d’actions au prix unitaire de quinze dollars. L’intégralité des actions a été souscrite, et les titres ont été négociés à près de vingt-neuf dollars dès la première journée avant de retomber aux alentours de vingt et un dollars dans les jours qui ont suivi. Dans un premier temps, l’entreprise avait annoncé son intention d’être la première introduction en Bourse « durable » et avait déclaré dans son prospectus d’introduction en août qu’elle adhérerait à un « cadre de principes et d’objectifs de durabilité » (Sustainability Principles and Objectives – SPO). Cependant, dans une mise à jour de ce prospectus déposée auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) le 4 octobre, la société a supprimé plusieurs références clés au cadre SPO. Leur nombre a ainsi été réduit de soixante-cinq à trente-trois. Finalement, Allbirds a renoncé à sa prétention d’être la première introduction en Bourse « durable » après que la SEC s’y est opposée, selon le directeur financier du groupe, Mike Bufano.

Ce dernier a réaffirmé que l’engagement de l’entreprise envers la durabilité restait d’actualité, mais que le régulateur avait demandé des modifications sur son prospectus, sans préciser lesquelles. Cet épisode montre l’engouement des investisseurs pour les groupes qui s’appuient sur des convictions en matière de durabilité (y compris pour les sociétés comme Allbirds qui ne réalisent pas de bénéfices). Il montre aussi l’exigence grandissante des parties prenantes à l’égard de la responsabilité des entreprises : une action civile a été intentée contre Allbirds devant un tribunal de New York par une association qui soutient que l’entreprise a induit les consommateurs en erreur avec des allégations de durabilité et de bien-être animal. Mais il met aussi en évidence que les régulateurs étatsuniens accordent de plus en plus d’attention à la façon dont les entreprises rendent compte des problèmes liés au climat et à la durabilité. Cette année, par exemple, la SEC a renforcé sa vigilance sur la divulgation et la nomenclature liée au changement climatique.