Les accusations et les procédures à l’encontre des compagnies pétrolières s’accélèrent et pourraient les fragiliser

Le 20 octobre 2021, des chercheurs ont publié un article dans la revue scientifique Global Environmental Change selon lequel l’entreprise française Total (aujourd’hui TotalEnergies) aurait connaissance des conséquences néfastes de ses activités sur le climat depuis 1971. Le groupe aurait ensuite entretenu le doute jusqu’à la moitié des années 90 avant de reconnaître les effets de ces opérations sur le changement climatique au milieu des années 2000.

Parallèlement, le 28 octobre, un comité de la Chambre des représentants des États-Unis a entendu en visioconférence les dirigeants de grandes sociétés pétrolières (ExxonMobil, Shell Oil, BP America, Chevron), de l’American Petroleum Institute (API) et de la Chambre de commerce. C’est la première fois que des membres du Congrès interrogent sous serment des dirigeants de grandes majors pétrolières sur le changement climatique. Cette audience, qui a duré six heures, est la première étape d’une enquête qui pourrait s’étaler sur un an et pendant laquelle les dirigeants devraient être à nouveau appelés à comparaître par Carolyn Maloney, la présidente du principal comité d’enquête de la Chambre (le House Oversight and Reform Committee). Cette séance s’est concentrée sur ce que les démocrates ont nommé la « campagne de désinformation » des compagnies pétrolières pour bloquer l’action climatique. En affirmant que leurs points de vue avaient évolué, les dirigeants entendus lors de l’audience ont tenté de prendre leurs distances par rapport aux efforts menés par leurs prédécesseurs pour rejeter l’évidence. Ils ont aussi nié tout rôle dans un quelconque soutien à la désinformation sur le changement climatique. Les démocrates ont reconnu à plusieurs reprises des similitudes entre l’audience du 28 octobre et celle durant laquelle, en 1994, des personnalités de l’industrie du tabac avaient déclaré que la nicotine ne créait pas de dépendance. La procédure avait finalement abouti, le 23 novembre 1998, à ce qui demeure encore, à ce jour, comme le plus important accord amiable de l’histoire des États-Unis (Master Settlement Agreement).

Les stratégies des fonds activistes constituent d’autres éléments de comparaison. En 1996, l’homme d’affaires Bennett LeBow, propriétaire du cinquième producteur de cigarettes américain (Ligett), avait lancé une opération de déstabilisation du groupe RJR Nabisco afin que celui-ci se sépare de sa division agroalimentaire (Nabisco) lestée par l’activité tabac du groupe et fusionne cette dernière avec Ligett. L’opération avait échoué, mais quelques mois plus tard, Bennett LeBow avait été le premier industriel du tabac à rompre l’omerta sur la nocivité des cigarettes. Le 27 octobre 2021, le fonds spéculatif Third Point, qui a acquis une participation importante dans Shell, a appelé le groupe pétrogazier à se scinder en plusieurs sociétés pour améliorer ses performances. Le fondateur et directeur général de Third Point, Daniel Loeb, estime que Shell va dans « trop de directions différentes » et qu’il devrait envisager de séparer sa production d’énergie traditionnelle des activités d’énergie renouvelable et de gaz naturel liquéfié. La direction de Shell a repoussé sa proposition.

Si le Master Settlement Agreement n’a pas éliminé la consommation de tabac aux États-Unis, il a accéléré son déclin, de même que son transfert dans les pays en développement. Mais ce type de procédure peut aussi apporter des éléments à charge dans d’autres actions. C’est ainsi qu’en septembre 2020, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) avait annoncé qu’une information judiciaire avait été ouverte au tribunal de Paris à l’encontre de BNP Paribas (BNPP) pour complicité de crimes contre l’humanité, de génocide, d’actes de torture et de barbarie au Soudan (IE n° 329). L’association s’était appuyée sur une série d’accords conclus, le 30 juin 2014, par la banque et destinés à mettre un terme aux enquêtes diligentées à son encontre aux États-Unis pour avoir enfreint, entre 2000 et 2010, des lois et réglementations concernant les sanctions économiques instaurées par les États-Unis à l’égard de certains pays (Soudan, Cuba, Iran), ce qui s’était soldé par une amende record de 8,97 milliards de dollars.