Attention aux déclarations éthiques qui ne se traduisent pas dans les actes

Le Festival international de la créativité (Cannes Lions) réunit tous les ans à Cannes les professionnels de la publicité du monde entier. Cette année, il s’est déroulé du 17 au 21 juin. Lors de cette manifestation, le directeur général du géant de l’agroalimentaire Unilever, Alan Jope, a tenu à mettre en garde son auditoire contre les marques qui s’approprient des positions politiques généreuses pour promouvoir leurs produits, mais qui, dans la réalité, ne s’engagent pas dans des actions visant à changer la situation. Ces attitudes – qui surfent sur un certain goût du public pour les marques soutenant une cause – entretiennent une confusion et peuvent finir par vider de leur sens les messages émis. Pour Alan Jope, les entreprises ne peuvent s’exprimer de manière authentique sans s’interroger sur les raisons fondamentales de leur existence et instaurer le changement au plus haut niveau.

Le décalage entre le discours tenu par une entreprise et ses pratiques a été récemment souligné par deux associations françaises, Sherpa et ActionAid France. Le 3 juillet, les organisations ont annoncé que le juge d’instruction Renaud van Ruymbeke, coordinateur du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris jusqu’à la fin du mois de juin (date à laquelle il a pris sa retraite), avait mis en examen Samsung France, le 17 avril dernier, pour « pratiques commerciales trompeuses » entre 2012 et 2017. Cette décision fait suite à plusieurs plaintes déposées par les associations entre 2013 et 2018 (voir IE). Pour ces dernières, l’enjeu est de taille puisqu’il consiste à faire reconnaître par la justice d’une part, que les déclarations institutionnelles d’une entreprise constituent un acte commercial susceptible d’influencer la décision des consommateurs et d’autre part, que les éléments relevés sur le terrain (voir IE) par de nombreuses organisations contredisent cette communication. De manière tout à fait indépendante, le quotidien sud-coréen Hankyoreh a publié fin juin sur Internet une longue enquête sur la situation des ouvriers de Samsung dans ses usines en Inde, en Indonésie et au Vietnam, enquête qui vient enrichir les déclarations des associations.

Les jugements qui vont dans ce sens sont encore rares. En 1998, un citoyen californien avait intenté une action en justice contre l’équipementier sportif Nike. Il accusait l’entreprise de « publicité mensongère » dans la mesure où la communication de cette dernière, qui s’appuyait sur son code de conduite, était en totale contradiction avec les observations enregistrées sur le terrain dans les usines de ses sous-traitants asiatiques. Après un long parcours juridique (première instance, appel, Cour suprême de Californie, Cour suprême des Etats-Unis), l’affaire était revenue devant les tribunaux californiens et s’était finalement conclue par une transaction (12 septembre 2003) dans laquelle Nike s’était engagé à payer 1,5 million de dollars à la Fair Labor Association (une organisation réunissant des ONG, des universités et des entreprises parmi lesquelles Nike) et à investir pour renforcer les droits des travailleurs. Si cet accord avait suscité des protestations de la part des associations les plus impliquées, le jugement de la Cour suprême de Californie (mai 2002) n’en constituait pas moins une jurisprudence au sens où il reconnaissait que les messages (enjolivés) délivrés par Nike sur les conditions de travail chez ses sous-traitants constituaient un message commercial et, de fait, exposaient la société aux lois californiennes sur la concurrence déloyale et la publicité mensongère.